Tribune : Said Benmouffok (PS) dénonce les attaques contre le voile
Tribune : Said Benmouffok (PS) dénonce les attaques contre le voile
A.N – Publié le 09.04.2016, 16h00
Said Benmouffok, conseiller municipal d’opposition PS à Mantes-la-Ville.
Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes a comparé le 30 mars dernier les femmes qui portent le voile aux « nègres » qui étaient favorables à l’esclavage avant de reconnaître « une faute de langage ». Cependant sur le fond, la ministre maintient ses propos, dénonçant des maisons de couture « irresponsables » qui font « la promotion de l’enfermement du corps des femmes » en distribuant des vêtements islamiques.
Dans une tribune, Said Benmouffok élu d’opposition PS à Mantes-la-Ville et Bérenger Boureille professeur de Lettres Modernes répondent à Laurence Rossignol.
À l’assaut du voile, au mépris des femmes.
Il est plusieurs façons de disqualifier la parole d’autrui. On peut l’accuser de malhonnêteté, de mensonge, de calcul égoïste. Madame Rossignol a choisi la plus violente pour les femmes portant le voile : leur parole n’en est pas une. Comme des esclaves refusant la liberté, elles s’enferment dans leur étoffe. C’est que la servitude marque autant l’esprit que le corps.
Certains ont récemment usé de ce procédé avec Kamel Daoud : lorsqu’il écrit sur le monde arabe, il n’est pas un penseur libre, il est un ancien colonisé. Son langage devient le préjugé de l’ancien maître occidental, qu’il répète servilement. De même, la femme voilée ne parle pas. À travers elle, c’est son mari, son père, son frère, leur système patriarcal, et toute l’histoire de la domination masculine qui s’expriment. Ses mots ne sont que des symptômes.
Elle souhaiterait en fait déchirer son habit de soumission, si elle était capable de penser et vouloir correctement. Mais cette femme n’est pas un être adulte et responsable, c’est un être mineur et asservi par des siècles d’enfermement. Au moins est-ce le cas pour « certaines d’entre elles », sans que l’on sache comment les distinguer des autres. Serviles dans leur corps et leur esprit, elles n’agissent pas, elles sont agitées. Et si ce n’est par nature, c’est par habitude.
Or on ne débat pas d’égal à égal avec un être mineur, on lui impose sa volonté. Au mieux avec un peu de condescendance, on fera de la « pédagogie », c’est-à-dire qu’on traitera ces personnes comme de grands enfants. Au pire, on emploiera la manière forte, et la main tendue fraternellement distribuera des gifles. « On la forcera d’être libre » comme aurait dit Rousseau.
Voilà engagée la dérive d’un certain féminisme, qui au nom de la liberté des femmes a besoin d’en réduire certaines au statut d’objet servile. C’est là son point commun avec l’intégrisme qu’il prétend combattre : la parole de ces femmes n’en est pas une. Chez l’un comme chez l’autre, un même discours : « je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi ». Cette réduction à la servitude est pire que du mépris, c’est un pur déni de subjectivité.
Une partie des hommes de ce pays a une mère, des sœurs, une épouse, des filles. D’autres n’ont autour d’eux que des êtres voilés. Le regard leur ôte volontiers toute profondeur individuelle. Il ne voit qu’une silhouette. Pourtant, ce sont des femmes. Des femmes musulmanes. Et il est curieux que l’idée finisse par s’imposer en France d’une contradiction entre ces deux termes.
Les jeunes femmes auxquelles nous enseignons, les mères d’élèves que nous rencontrons, les responsables associatives avec lesquelles nous travaillons réfutent au quotidien toutes les certitudes faciles construites à leur sujet. Il faut bien de l’incohérence pour prétendre combattre au nom des femmes, et réserver de façon aussi systématique à certaines d’entre elles la primeur de ses discours blessants. Pour les réduire de façon si obsessionnelle à leur vêtement, et s’étonner que certaines en fassent un support de revendication identitaire.
Pour accuser ceux qui s’indignent d’être les idiots utiles des intégristes, et s’autoriser en même temps à distinguer d’un trait péremptoire les sujets et les objets. Pour croire participer à la promotion d’un féminisme authentiquement laïque, en semblant si convaincu d’avoir reçu une révélation à laquelle d’autres resteront irrémédiablement sourds.
La crispation sur le voile ne saurait se substituer à une politique d’émancipation universaliste. La ministre des droits des femmes aurait tant à faire en la matière. Combattre les inégalités scolaires en offrant à tous les élèves la liberté d’étudier, de s’orienter, de voyager. Veiller à ce que les femmes ne soient pas les premières victimes de la précarité : cantonnées au CDD, contraintes au temps partiel ou décrochées tout simplement du marché de l’emploi. Lutter résolument contre toutes les violences faites aux femmes : dans l’espace public, dans le foyer et sur le lieu de travail.
Garantir des soutiens financiers et humains nouveaux aux mères qui élèvent seules leurs enfants. Soutenir le milieu associatif où ce sont si souvent des femmes qui veillent à combler les manques de nos services publics, dont d’autres femmes sont si souvent les premières à souffrir.
Il est vrai qu’alors, on en rencontrerait beaucoup, de ces femmes qu’on croyait soumises et résignées, engagées de longue date dans ces combats et tenant courageusement la place malgré les vents mauvais.
Les chantiers ne manquent pas pour un gouvernement de gauche. Si la liberté n’est pas une donnée naturelle, elle ne se décrète pas non plus sur un strapontin ministériel. Elle se construit par l’action collective au service de l’individu, et d’abord par le respect de tous les individus. C’est la différence entre une vraie politique d’émancipation et un funeste programme de redressement des esprits.
Said Benmouffok, professeur de Philosophie au Lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie.
Bérenger Boureille, professeur de Lettres Modernes au Lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie.